L’histoire du Yi Jing
Une origine chamanique.
Le Yi Jing trouve sa source au IIe millénaire avant notre ère. Nous sommes à l’époque des Shang, la seconde dynastie chinoise historiquement connue, dans laquelle les chamanes tiennent une place essentielle.
Les Shang, en effet, sont animistes. Leur monde est peuplé d’une multitude de divinités dont il faut savoir se concilier les bonnes grâces. La brume, la montagne, le vent, le tonnerre, tout dans la nature est constitué d’un shen, d’un esprit qu’il faut régulièrement apaiser par des sacrifices d’animaux. Ceci sans compter les démons, fantômes et ancêtres défunts qui eux aussi peuvent impacter la vie sur terre s’ils ne sont pas correctement honorés.
Alors on sacrifie, encore et encore, pour s’assurer que chaque entreprise dans le monde des humains soit agréée par l’invisible.
Pour cela, on laisse la chair des bêtes sacrifiées se consumer jusqu’à l’os. Sous l’effet du feu, des craquelures apparaissent à la surface des os. Les dessins qu’elles forment varient d’une cérémonie à l’autre. Un signe des esprits, en déduisent les prêtres Shang. Succès à venir ou échec assuré, ces craquelures disent forcément quelque chose de l’entreprise pour laquelle ils ont sacrifié une bête.
Or, dans la conception que les Chinois se font du monde, il est une notion fondamentale : celle du temps.
Au cours de l’histoire, la vie et même la survie de ce peuple sédentaire furent rythmées par le temps, c’est-à-dire le défilement des saisons, l’alternance du soleil et de la pluie et son impact sur les récoltes, etc.
Aux yeux des chamanes de l’époque Shang, les craquelures à la surface des os sont, pour les esprits, une façon d’indiquer aux humains si l’action qu’ils souhaitent entreprendre est oui ou non en adéquation avec le moment présent.
Les chamanes vont dès lors récupérer les ossements des sacrifices précédents, souvent des omoplates de boeuf, pour interroger les dieux, en provoquant directement les fameuses craquelures osseuses à l’aide d’un ustensile chauffé au feu rituel.
Reproduction d’une carapace de tortue avec signes oraculaires, XVe siècle avant J.-C. © Candice Vanhecke
Par la suite, les omoplates de boeuf seront remplacées par des carapaces de tortue.
À côté des fissures divinatoires, des signes mnémotechniques sont annotés sur les carapaces de tortue. Ces signes permettaient de rendre compte de l’objet de la consultation et des suites de cette dernière.
Au fil du temps, les devins Shang purent ainsi associer des réponses oraculaires de plus en plus précises aux différents types de fissures obtenues.
Ce procédé de validation a posteriori des réponses fournies par l’invisible aux interrogations humaines s’étala sur des siècles. Il en résultera la constitution de véritables « bibliothèques » d’omoplates bovines et de carapaces de tortue, dont des centaines de milliers furent découvertes il y a un peu plus d’un siècle, lors d’une crue du fleuve Jaune.
Ce procédé divinatoire eut cependant une conséquence environnementale dramatique, puisqu’il mena à la quasi-disparition totale des tortues d’eau douce en Chine du Nord.
C’est dans ce contexte que fut inventée la méthode du tirage de baguettes, en l’occurrence des tiges d’achillée. Cette méthode est attribuée à Wu Xian (qui signifie « Chamane influent » en chinois), personnage qui a réellement existé entre le XIIe et le XIe siècle avant notre ère.
La méthode du tirage de pièces n’apparaîtra, quant à elle, qu’il y a seulement un millénaire.
Voilà pour la partie historique de la naissance du Yi Jing.
Cependant, le Livre des Changements revêt une telle importance en Chine qu’il lui fallait un récit plus romancé, où mythologie et pans de l’histoire de l’Empire se mêlent intimement.
Ce récit est personnifié par quatre figures chinoises emblématiques : Fu Xi, le Roi Wen, le Duc des Zhou et Confucius.