Ce sont les deux hexagrammes essentiels de tout tirage du Yi Jing. Pourtant, leur signification est souvent mal comprise, surtout celle de l’hexagramme de perspective. Mais d’où vient cette mauvaise interprétation et, surtout, comment analyser ces hexagrammes correctement ?

C’était il y a quelques années. J’avais découvert sur Internet un groupe d’adeptes du Yi Jing qui se réunissaient pour décrypter ensemble les réponses obtenues lors de leurs précédents tirages.

Tout heureuse de rencontrer des aficionados du Livre des Changements, je me rendis à l’une de leurs séances. Celle-ci débuta par un cours donné par l’hôtesse de la réunion.

Quand, après avoir feuilleté la « brique rouge » de Cyrille Javary (1), je la vis dégainer le Yi King de Richard Wilhelm (2) pour mieux asseoir son propos, je commençai à me crisper (celles et ceux qui ont lu l’article Quelle est la meilleure traduction du Yi Jing comprendront).

Lorsque, peu après, je l’entendis affirmer que « parfois, l’hexagramme de perspective est plus important que l’hexagramme de situation », je sus que ma participation aux réunions de la dame se limiterait à cette seule et unique fois.

Orient/Occident : avenir stable versus changement immuable
L’idée selon laquelle l’hexagramme de perspective serait aussi, voire plus important que l’hexagramme de situation n’est hélas pas rare. Elle tient sans doute au fait que, en Occident, le futur a souvent été appréhendé comme quelque chose de presque figé, avec, arrière-fond, une idée de destin écrit à l’avance. La notion de changement constant, de mouvement continu de tout ce qui existe, si chère à la Chine, est beaucoup moins prégnante dans nos sociétés. Les différences géographiques entre l’Europe et la Chine expliquent en grande partie cette divergence de perception. À l’instar de la Chine, l’Europe était encore jusqu’il y a peu une terre principalement agricole, à la fertilité rythmée par le cycle des saisons. Mais, à la différence de l’empire du Milieu, nos pays ont longtemps pu compter sur une relative stabilité climatique. En Chine, au contraire, les catastrophes naturelles ont toujours fait partie de la vie de ses habitants, qu’il s’agisse de séismes, d’inondations ou encore de typhons. La conscience que rien n’est immuable est donc particulièrement présente chez les Chinois et est même à la base du mode de pensée Yin-Yang, cet équilibre des deux énergies essentielles et complémentaires, en constante évolution.
L’hexagramme de situation, une vision à 360 degrés
Ce n’est donc pas un hasard si le Yi Jing (en français, le Classique des Changements) s’appelle ainsi. Le changement est la base, le point de départ sans lequel on ne peut rien comprendre à l’oracle chinois. C’est aussi pour cette raison que l’hexagramme de situation prime en importance sur l’hexagramme de perspective. L’hexagramme de situation nous parle du moment présent (3). Pour prendre l’exemple de la vision humaine, qui est limitée à un champ d’environ 120 degrés, c’est un peu comme s’il nous permettait de percevoir les choses avec une amplitude de 360 degrés. Et bien sûr, on ne prend pas les mêmes décisions lorsqu’on a une vue d’ensemble que lorsqu’on doit se contenter des seules perceptions de la partie consciente de notre être.
L’hexagramme de perspective : ce qui est en germe dans la situation
Mais qu’en est-il du futur, alors ? Est-il totalement absent des informations que l’on peut obtenir d’un tirage du Yi Jing ? Non, et c’est effectivement ici que l’hexagramme de perspective joue un rôle important. Mais attention, l’hexagramme de perspective ne nous décrit pas notre avenir. Il nous dit ce qui est en germe dans la situation présente. Il nous montre ce vers quoi pourrait tendre la situation si tous les éléments qui la composent restaient en l’état. L’hexagramme de perspective nous indique une tendance, une dynamique. À nous de rectifier le tir si la destination pointée ne nous plaît pas, ou, dans le cas inverse, de faire en sorte que « toute chose reste égale par ailleurs », comme aiment à le dire les férus de mathématiques. En conclusion, c’est en mariant les informations sur la situation présente avec les perspectives qui se profilent qu’on peut aboutir à une analyse fine d’un tirage du Yi Jing (en y ajoutant bien sûr la signification des traits mutants, mais cela, ce sera pour un prochain article).

(1) C. Javary et P. Faure, Yi Jing, Le Livre des Changements, Albin Michel, 2012.

(2) Richard Wilhelm, Yi King : Le livre des Transformations, Médicis, 1994.

(3) ou, dans le cadre d’un double tirage, ce que pourrait être notre présent suivant l’option analysée.

Illustration: ©Candice Vanhecke

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