Destin ou libre arbitre ? On a beau être convaincu.e d’avoir sa vie en main, certains tirages du Yi Jing sont parfois d’une telle justesse qu’on ne peut s’empêcher de se demander si tout n’est pas déjà écrit à l’avance. Quelle part revient au destin, quelle autre au libre arbitre ? Tentative de réponse sur base de paroles de chamanes et d’une théorie issue de la physique quantique (si si).

Dans son livre « La diagonale de la joie » (1), la chamane Corine Sombrun relate un épisode survenu en 2009, au cours d’un événement public auquel participait Enkhetuya, la chamane mongole qui l’avait initiée quelques années auparavant.

Après la conférence, plusieurs spectateurs étaient venus consulter Enkhetuya dans sa chambre d’hôtel. À l’un d’entre eux, elle avait prédit une mort prochaine. Effroi dudit spectateur, qui avait alors été trouver Corine Sombrun pour savoir qu’en penser.

Récit de la scène : « Je lui ai dit que les chamanes pouvaient se tromper. Oui, mais si elle ne se trompait pas ? Alors vous avez de la chance parce qu’elle vous a prévenu d’un futur possible. Pour les chamanes l’avenir n’est jamais figé. En prévenant une personne, le chaman lui donne la possibilité de corriger la trajectoire qui l’emmène vers ce possible. En fait Enkhetuya vous a dit que, si vous ne changez rien à votre vie, ce qu’elle voyait était la mort. »

Cet extrait fait furieusement penser à la théorie des multivers, ou univers multiples, qui postule l’existence d’une multitude de réalités qui coexisteraient à chaque instant (2). La réalité que nous expérimentons pourrait ainsi n’être qu’une réalité parmi d’autres restées à l’état de potentialités.

Lorsqu’un chaman ou un médium émet une prédiction, il évoquerait donc une de nos réalités potentielles à venir, sans doute celle vers laquelle on se dirige le plus probablement.

Mais revenons-en au Yi Jing. Un hexagramme de perspective, c’est un peu comme une prédiction d’un chaman, sauf que la réponse ne nous est pas donnée par une personne extérieure, mais par notre Moi supérieur (3). Explications.

Le Yi Jing, d’abord un outil au service de notre libre arbitre

Lorsqu’on effectue un tirage du Yi Jing, on obtient d’abord un hexagramme de situation.

Celui-ci nous donne à voir notre présent, souvent sous un angle plus large que la façon dont nous le percevons.

Il peut aussi attirer notre attention sur des points particulièrement importants de la situation. Ce sont le ou les traits mutants.

En faisant muter ces traits (c’est-à-dire en transformant les traits yin en traits yang et inversement), on obtient un nouvel hexagramme : l’hexagramme de perspective.

Dès lors, peut-on dire que, tout comme l’hexagramme de situation équivaut à une représentation de notre présent (4), l’hexagramme de perspective constitue une photographie de notre avenir ?

La réponse est non.

Il ne s’agit que de l’un de nos multiples futurs potentiels, en l’occurrence un futur qui appliquerait cette formule bien connue des férus de mathématiques : « toutes choses étant égales par ailleurs ».

Cela signifie que si tous les éléments qui forment l’équation de notre présent restent les mêmes, on se dirige vers la situation représentée par l’hexagramme de perspective.

C’est précisément en cela qu’un tirage Yi Jing constitue une aide précieuse, pour nous permettre d’identifier, dans notre situation actuelle, les éléments qui doivent être transformés pour éviter un avenir déplaisant ou, au contraire, qu’il convient de préserver pour nous garantir un futur agréable.

Le tirage qui a sauvé des meubles (si pas des vies)

C’est aussi pour cette raison qu’il est, à mon sens, peu pertinent de faire des tirages portant sur un avenir éloigné, du type « Serai-je encore avec mon ou ma partenaire actuel.le dans cinq ans ? » (ou occuperai-je encore le même emploi, vivrai-je dans la même région, etc.).

C’est peu pertinent car notre présent est constitué d’une multitude de variables susceptibles de changer, et il est fort probable que notre tirage reflète notre futur lointain en fonction des dynamiques actives dans notre situation actuelle… qui ne seront plus forcément les mêmes dans six mois.

En même temps, il me faut ajouter un bémol à cette affirmation. Car certaines choses sont sans doute inéluctables.

Un exemple. Il y a deux ans, ma maman me demande d’interpréter son tirage du Yi Jing.

Après moult recherches, elle vient enfin de trouver LA maison à vendre qu’elle cherchait depuis longtemps.

Est-ce la bonne ? La réponse du Yi Jing ne va clairement pas dans ce sens, puisqu’elle obtient comme hexagramme de situation le 3, « Difficultés initiales », et, surtout, comme hexagramme de perspective, le 29, « S’entraîner aux passages des ravins » (pourquoi « surtout » ? Vous allez vite comprendre). Suite à ce tirage, ma mère renonce à sa maison « coup de coeur ».

En effet, le texte du premier trait de l’hexagramme 29 est assez limpide : « Profitable d’être tenace comme qui demeure » (en clair, ne pas déménager, en tout cas pour cette maison). Quant à l’hexagramme de perspective, il s’agit ni plus ni moins de celui qui, dans le Yi Jing, nous parle de ses moments où on est confronté.e à la peur.

C’est l’hexagramme avec le fameux redoublement du trigramme « eau », qui évoque les flots tumultueux qui façonnent les ravins.

Trois mois plus tard, la région où se trouve ladite maison est frappée par les pires inondations que la Belgique moderne ait jamais connues.

Or, au fond du jardin de cette maison, courait un adorable cours d’eau qui avait tant charmé ma maman lors de la visite. Un « adorable » cours d’eau qui a sans doute causé beaucoup de dégâts durant l’été 2021 et auquel, après coup, il me semble que l’hexagramme de perspective faisait directement référence.

Si je persiste à penser que nous sommes en grande partie maîtres.ses de notre vie, il y a manifestement des impondérables déjà écrits quelque part avec lesquels nous devons composer. Heureusement, le Yi Jing, nous aide à les détecter.

(1) Corine Sombrun, La diagonale de la joie : voyage au coeur de la transe, Albin Michel, 2021.

(2) Lire à ce propos l’ouvrage d’Aurélien Barrau, Des univers multiples : nouveaux horizons cosmiques, Ed. Dunod, 2020.

(3) C’est-à-dire notre inconscient qui, contrairement à notre ego, n’est pas séparé du « tout » et pour lequel le temps n’existe pas.

(4) Ou, dans le cadre d’un double tirage, ce que pourrait être notre présent suivant l’option analysée.

Crédit image : Greg Rakozy sur Unsplash

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