Avec « L’esprit d’enrichissement », le sinologue Cyrille Javary nous fait découvrir le rapport positif et décomplexé que les Chinois entretiennent avec l’argent. Un livre à la fois drôle, touchant et plein d’érudition, qui nous plonge dans la culture et la pensée chinoises au travers d’une thématique bien dans l’air du temps.

Les temps changent ! Il y a 5 ou 10 ans, un livre avec, en pleine couverture, une incitation à s’enrichir ne se serait sans doute pas retrouvé parmi les parutions d’une maison d’édition comme Albin Michel. L’argent, l’esprit d’enrichissement, c’est bien un truc d’Américains obsédés par le profit, aurait-on alors pensé, tout Européens encore pétris de culpabilité et de répulsion chrétiennes par rapport à la notion de richesse.

Sauf que, entretemps, est né un véritable engouement pour tout ce qui touche au développement personnel (et, comme les Chinois l’ont bien compris, difficile d’être à la fois pauvre et pleinement épanoui). Sauf que, aussi, le livre est signé par le sinologue français Cyrille Javary, auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation de la pensée chinoise et de ce qui est sans doute aujourd’hui la meilleure traduction française du Yi Jing (1).

Pour écrire L’esprit d’enrichissement, Cyrille Javary s’est associé à Dominique Escande, eutrepreneure qui conseille les entreprises françaises souhaitant investir le marché chinois, et KimLi Fong Yan, Réunionnaise d’origine chinoise, qui nous régale de ses souvenirs d’enfance ou tirés de l’histoire familiale, lesquels sont autant de témoignages du rapport que les Chinois entretiennent avec l’argent et la notion de richesse.

Car c’est bien là la force de ce livre : L’esprit d’enrichissement allie, en toute fluidité, connaissances théoriques sur la façon dont les Chinois conçoivent et travaillent à leur prospérité, et anecdotes issues de l’expérience personnelle et professionnelle des trois auteur(e)s.

« Le Secret » version chinoise ?

L’esprit d’enrichissement est né d’un étonnement partagé par les trois auteur(e)s : celui du boom économique qu’a connu la Chine en moins de deux générations, passant du statut de pays sous-développé à celui de puissance dont le PIB dépassera probablement celui des États-Unis d’ici 3 à 4 ans (2).

Les Chinois auraient-ils un secret ? Se gaveraient-ils d’ouvrages sur la loi de l’attraction et suivraient-ils en masse des stages pour apprendre à attirer l’abondance, comme de plus en plus d’Occidentaux ? En fait, de ces théories désormais en vogue, les Chinois n’ont nul besoin, car l’idée que le monde comporte une part d’invisible impactant notre univers matériel leur est depuis toujours familière.

Tout comme la circulation de l’énergie dans les méridiens qui, aussi imperceptible soit-elle, influence en bien ou en mal notre santé, il existe des configurations énergétiques tantôt propices, tantôt contraires à la prospérité.

Pour favoriser les premières, les Chinois ont donc à coeur de développer l’esprit d’enrichissement, notamment en s’entourant d’objets comme l’arbre à sapèques, le crapaud à trois pattes, l’aquarium rempli de poissons rouges, etc. Autant de symboles d’abondance dont la signification nous est révélée dans le livre de Cyrille Javary et de ses deux co-auteures.

Saisir la chance au vol

Mais l’esprit d’enrichissement est loin de se résumer à ce qu’on aurait tort de percevoir comme de vulgaires superstitions. Il consiste aussi à capter la présence de flux énergétiques favorables, notamment par le biais de la consultation du Yi Jing. Savoir si on est dans un temps yin (moment où on n’a pas la main et où il vaut mieux patienter), ou au contraire dans un temps yang (temps pour passer à l’action) peut se révéler fort utile dans le monde des affaires.

Vues sous cet angle, on comprend aisément pourquoi les expressions « avoir de la chance » ou « être malchanceux » sont des non-sens absolus pour les Chinois. A leurs yeux, la chance n’est pas quelque chose que l’on possède, encore moins un état. Le monde n’étant que changement perpétuel, la chance est surtout agencement bénéfique des énergies, opportunité temporaire qu’il faut savoir flairer et saisir au vol.

L’enrichissement au service du groupe

Enfin, si tout est question de circulation des énergies, il n’y a pas de raison qu’il en aille différemment pour l’argent. L’esprit d’enrichissement, c’est donc aussi apprendre à accroître sa richesse, non pour l’amasser, mais pour la faire circuler et la démultiplier.

L’argent n’est jamais perçu comme une finalité égoïste, mais comme un moyen d’augmenter le bien-être du collectif, d’assurer un meilleur avenir à ses enfants et les vieux jours des ascendants. Dans cette optique, « s’enrichir n’est pas seulement une fonction indispensable, c’est aussi une vertu louable », nous disent les auteur(e)s.

On l’aura compris, le livre de Cyrille Javary, Dominique Escande et KimLi Fong Yan ne se limite pas à la seule thématique de l’enrichissement. Il nous offre, plus largement, une véritable plongée dans l’esprit chinois, où l’invisible côtoie le visible, le groupe prime sur l’individu et l’impermanence fait figure de seule vérité intangible. Un régal !

L’esprit d’enrichissement, paru aux éditions Albin Michel le 4 janvier 2023.

(1) Cyrille Javary et Pierre Faure, Yi Jing, Le Livre des Changements, Albin Michel, 2012.
Pour en savoir plus sur le livre, lire l’article Quelle est la meilleure traduction du Yi Jing ?

(2) Stéphane Aymard, La Chine est-elle (re)devenue la première puissance économique mondiale ?, La Tribune, 28 avril 2022.

Images : Candice Vanhecke

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