Et si, pour pouvoir guérir, il fallait en passer par le lâcher-prise ? À plusieurs reprises, le renoncement a été pour moi synonyme de libération. Cela m’a éclairée sur la dynamique yin-yang à l’oeuvre dans tout processus de guérison physique, psychique, ou spirituelle. Je te partage deux de mes expériences.
Le renoncement à l’amour
C’était il y a longtemps. À cette époque, j’entamais ma première année à l’université. J’avais rencontré un jeune homme qui me plaisait énormément. C’était par une froide journée de décembre. Il m’a embrassé sur les marches de l’amphithéâtre et j’ai rapidement détourné le visage. Je ne voulais pas que tout ce stress recommence.
Durant mes années d’adolescence, j’avais eu des relations qui n’avaient jamais dépassé les quelques semaines. Parce qu’à chaque fois je me sentais bouffée. J’avais l’impression que l’autre me possédait, me volait, me privait de moi-même. J’étouffais littéralement. C’est une sensation difficile à expliquer, mais j’étais terrorisée. Les sentiments et l’attirance physique commençaient à s’estomper au moment où la relation débutait, jusqu’à ce que la présence de mon copain me devienne insupportable.
Sur les marches de l’amphi, j’ai senti l’angoisse monter à nouveau et j’ai dit stop. J’ai couru aux toilettes et je me suis mise à défoncer une chasse d’eau à coups de pied et de poings. Je me détestais. Ce jour-là, j’ai décidé que je renonçais à tous mes rêves, à commencer par le plus important, celui d’être un jour heureuse en amour. J’allais aussi arrêter l’unif’. À quoi bon étudier pour le métier de mes rêves si le bonheur en couple m’était refusé (oui, à l’époque, j’étais un peu en mode ‘tout ou rien’, alors quitte à être malheureuse, autant l’être dans tous les domaines). Tant pis, je renonçais, ça faisait des années que je faisais la tournée des thérapeutes en tout genre pour régler ce problème et rien ne marchait, alors cette fois-ci, je décidai d’arrêter d’y croire et d’envoyer tout dinguer.
C’est en étant toujours dans cet état d’esprit que, exactement deux mois plus tard, je rencontrais un homme avec qui tout allait être différent dès le premier instant et avec qui j’allais passer deux des plus formidables années de ma vie (et, au passage, solutionner mon problème, même si l’explication à celui-ci n’allait me venir que bien plus tard).
Une souffrance qui ne m’appartenait pas
Il y a un an jour pour jour, je suis, comme toutes les six semaines, allongée sur la table de massage de ma thérapeute énergéticienne. Elle est maître reiki et elle est incroyable, c’est à elle que je dois, entre autres, d’avoir traversé mon adolescence sans trop de dégâts, malgré le problème énoncé plus haut et un environnement familial passablement chaotique.
C’est une séance « contrôle de routine » comme j’aime à le dire, rien de particulier à solutionner, juste profiter de ce temps de rééquilibrage énergétique. Avec mon accord, ma thérapeute décide de me faire une séance de « somatic energetics », une technique pour laquelle elle s’est récemment formée.
Comme il n’y a pas de gros dossiers émotionnels en ce moment, on décide de travailler sur une sensation désagréable que j’ai dans le ventre, sensation que j’ai depuis tellement longtemps que je me demande même si j’ai un jour connu la vie sans. Sauf que cette foi-ci, pour la première fois, j’en parle. Pas que c’était jusque là tabou, non, simplement, cela fait tellement partie de moi que c’en était devenu anodin.
Cette sensation, c’est noir, c’est comme de la boue et c’est un poids, une tristesse qui est là en permanence, en arrière-plan dans les bonnes périodes, au premier dans les moins bonnes. C’est quelque chose qui me vaut de devoir me « surveiller » en permanence : la méditation, la marche en forêt, la gestion des pensées, ce n’est pas une option, c’est juste obligatoire pour tenir ce « truc » en respect.
La séance commence. L’image d’un membre de ma famille me vient presque directement. L’image de sa souffrance sans fond, aussi, et de moi, enfant, tellement désespérée et impuissante face à ce gouffre de souffrance. « Cette boule noire dont tu parles, c’est une souffrance qui ne t’appartient pas. On va travailler dessus », me dit ma thérapeute.
À la fin de la séance, je me sens détendue. Le travail énergétique et les visualisations proposées m’ont fait du bien, mais, quand je rentre chez moi le soir, je sens que la boule noire est toujours là. J’éprouve un vrai découragement et je me dis « Ça n’a pas marché, ce truc sera toujours là. Tant pis, il va falloir que je vive avec toute ma vie, c’est comme ça. » Je me sens abattue et je vais me coucher directement après le dîner.
Mais durant la nuit, il se passe un phénomène étrange : je ressens comme un poignard de tristesse enfoncé dans mon coeur. Exactement la sensation que j’ai déjà ressentie lors de décès de personnes de ma famille très proches, où lors de ruptures amoureuses qui m’ont particulièrement affectée. Pourtant, là, rien dans ma vie ne justifie cette sensation. C’est tellement fort que je me lève pour prendre quelques comprimés à base de plantes pour mieux dormir. Ça marche. La douleur s’estompe et je m’endors profondément.
Au matin, quand je me réveille, la boule noire a disparu. Ce poids qui ne m’appartenait pas est parti en fumée. Je me sens légère, je découvre enfin la vie sans cette boue de tristesse agglutinée dans mon ventre depuis si longtemps. Le matin du 2 décembre 2021 a marqué mon entrée dans une nouvelle vie. Ma renaissance, au sens le plus littéral du terme.
Accueillir la force de guérison de l’univers
Lâcher prise sur l’attente de guérison pour que la guérison advienne. En la matière, les deux expériences racontées ci-dessus ne sont pas les seules que j’ai eues (mais sans doute les plus marquantes). Et en réalité, je ne sais même pas si c’est le lâcher-prise qui est une condition à la guérison, ou juste un signe que le processus est enclenché. Mais toujours est-il que, si je me fie à mon vécu, le lâcher-prise fait toujours partie de l’équation. Le lâcher-prise, ou le fameux « surrender » des Anglo-Saxons. Je dépose les armes, je me rends.
Ce lâcher-prise, c’est l’attitude yin par excellence : on s’abandonne au grand « Je ne sais pas ». On n’est plus dans le « faire » ; on cesse de batailler, on cesse d’espérer (car après tout, espérer, c’est « faire » en pensées). On n’est plus dans l’agir, le Yang, et, par la porte du renoncement, on pénètre dans le domaine du non agir, le Yin. Comme si ce n’était qu’à partir de ce territoire du non agir que l’on permettait enfin à la vie de passer à l’action en notre faveur.
Si on se réfère à la dynamique yin-yang de l’univers, cela prend tout son sens : le yang pénètre le yin et, pour pouvoir être pénétré par le Yang guérisseur de l’univers, il faut donc être dans un état « yin », dans un état d’accueil et de recevoir. Seul le vide peut accueillir le plein. Ce n’est pas en étant empêtré.e dans nos doutes, peurs, espoirs, attentes, questionnements que l’on peut dégager en soi l’espace nécessaire pour que s’épanouisse la force d’action de la vie, son pouvoir de guérison qui nous dépasse. Sans doute les êtres les plus spirituellement évolués parviennent-ils à s’abandonner dans la foi et la confiance. Pour le commun des mortel.le.s, cela passe plus souvent par le renoncement.
Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de prétendre que pour guérir au niveau physique, psychique ou spirituel, il faille se contenter de baisser les bras et de se morfondre dans l’attente d’une intervention providentielle. Certainement pas. Dans mon cas, le lâcher-prise suivi d’une guérison (ou d’une libération), cela a toujours été le fruit d’un long chemin pour m’en sortir. Et, mis à part le premier exemple que j’ai donné en début d’article, mes guérisons sont toujours arrivées entre, ou après que je sois passée entre les mains de thérapeutes (ou plus précisément d’une thérapeute, puisque j’ai eu la chance de rencontrer ma perle rare très tôt dans mon parcours). Si le lâcher-prise yin a été la touche finale, le déclic nécessaire à la guérison, il a toujours été accompagné du travail yang préalable.
Ne pas s’en vouloir de baisser les bras
Il me faut également préciser qu’avec cet article, mon intention n’est nullement de culpabiliser les personnes en quête d’une guérison/libération qui se fait attendre. Je n’ai nulle méthode de lâcher-prise à proposer, façon « Suivez mon exemple et vous aussi, vous vous en sortirez. » Que du contraire. Les deux expériences de lâcher-prise que j’ai évoquées plus haut n’ont pas été le fruit de ma volonté (d’ailleurs, cela n’aurait pas été du véritable lâcher-prise, sinon). Elles sont intervenues malgré moi, au moment précis où j’admettais mon impuissance à solutionner mes problèmes d’alors.
Avec cet article donc, nulle volonté de culpabiliser ni d’inciter à baisser les bras ; juste un message aux personnes coincées dans des difficultés d’ordre psychologique ou émotionnel ou des problèmes de santé : si d’aventure vous en arrivez à baisser les bras, ne vous en veuillez pas. Vous n’en savez rien, mais c’est peut-être l’étape nécessaire à votre guérison.
À titre personnel, j’ai l’intime conviction que le lâcher-prise est un passage obligé. Comme si, pour que la vie puisse nous venir en aide, nous devions d’abord accepter l’entièreté de son expérience. La perspective d’une guérison, mais aussi la possibilité d’une non-guérison. Après tout, c’est dans l’acceptation que les tensions se dissolvent. Alors seulement, l’énergie de la vie peut se remettre à circuler librement.
Illustration : Darius Bashar sur Unsplash