En règle générale, la fonction de l’hexagramme 4 est de nous faire prendre conscience que la véritable sagesse, c’est parfois d’agir d’une façon qui, en apparence, a l’air totalement insensée, irréfléchie, extravagante. En clair, l’hexagramme 4 nous invite à agir comme un jeune fou, car, dans le cas qui nous occupe, cette attitude est la plus opportune.
En effet, quelle que soit la façon dont la partie consciente de notre être juge l’option « agir comme un jeune fou », notre inconscient, lui, connaît très bien le bénéfice que nous avons à en tirer.
J’ai ainsi connu une dame, Claudine (1), qui, bien que férue de voyages, n’avait pas pu assouvir ce besoin au cours de sa vie, la faute à un mari trop casanier. À l’âge de 67 ans, une amie lui proposa de l’accompagner en Inde pour un séjour de deux semaines dans un ashram. Claudine accepta, mais ce n’était pas assez à son goût. Quitte à se retrouver en Inde, autant en profiter pleinement, en enchaînant son expérience dans un ashram avec trois semaines de voyage en solitaire, à la découverte du pays. Une aventure risquée pour une presque septuagénaire ? Peut-être. Mais ces cinq semaines à l’autre bout du monde se passèrent à merveille et, surtout, lui ont permis de gagner incroyablement de confiance en elle. A 67 ans, elle était partie toute seule en Inde ! Lorsque je fis sa connaissance six ans plus tard, elle me parla de ce voyage comme de l’une des réalisations dont elle était la plus fière. Claudine était déterminée à effectuer ce voyage, mais plein de choses auraient pu l’en empêcher : l’idée qu’elle était trop âgée pour partir en solo dans une contrée inconnue, le coût d’un tel voyage, le climat étouffant de l’Inde, l’inquiétude de ses enfants, etc., etc. En ce sens, Claudine personnifie l’enseignement de l’hexagramme 4-Jeune Fou. Si, aux yeux de beaucoup, voyager seule en Inde à 67 ans constitue une folie, dans son cas précis, cela a surtout été une formidable opportunité d’épanouissement.
Mais il est une autre façon d’analyser l’hexagramme 4-Jeune Fou, qu’on pourrait résumer par cette réplique culte d’une publicité des années 90 : « Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice ! ».
En l’occurrence, Maurice, c’est nous ! Parce qu’on agit littéralement comme un jeune fou, à interroger le Yi Jing pour un oui ou pour un non, ou encore parce qu’on se permet de revenir avec la sempiternelle même question, alors que rien, dans notre contexte, n’a évolué depuis la dernière consultation.
Au lieu de méditer sur les enseignements qui nous ont été transmis lors d’un précédent tirage, on vient à nouveau tirer sur la manche de l’oncle Li (2), comme un gamin qui n’apprécie pas la réponse reçue et qui trépigne pour en avoir une autre. Et ça, le Yi Jing n’aime pas et nous le fait savoir dans la deuxième partie du Jugement de l’hexagramme 4 :
Au premier tirage informations
Un second un troisième c’est importuner
Importuner donc plus d’informations
Voilà qui a le mérite d’être clair ! Dans ce cas, une seule chose à faire : on se calme, on respire et on sourit devant cette curieuse impression de s’être fait taper sur les doigts par un livre vieux de 3500 ans. Comme quoi, l’apprentissage de la sagesse passe aussi – et surtout – par celui de l’humilité.
(1) Nom d’emprunt
(2) Surnom couramment donné au Yi Jing
Illustration © Candice Vanhecke